Tuberculose
A chaque fois que je vais chez le médecin pour un check-up, j’ai le droit à la même question : « A quand remonte votre dernier rappel anti-tétanique ? », moment auquel je détourne adroitement la conversation sur la météo des dernières vacances à La Baule parce que mon dernier vaccin remonte généralement à avant ma naissance.
Ce soir, dans le train, un homme pas net monte dans le wagon. « Lui, il est pour toi ! », me dis-je. Ca ne loupe pas, 43 sièges libres et il choisit celui à côté de moi. Il s’affale sur moi au terme d’une gymnastique élaborée qui me fait atterrir dans le plafond suivant le principe des vases communicants.
Outre que sa rencontre avec le savon doit dater du temps où on allait travailler à cheval, il a une démarche bizarre. Je me force à envisager la situation avec un œil très neutre, après tout, les débiles sont nos amis. Au bout de deux minutes de trajet direct, c’est-à-dire à la minute exacte où je ne peux plus décider de me barrer de là en courant, l’homme bizarre se met à tousser. Pas la toux que j’ai appris à reconnaître cet hiver, la vulgaire toux grippale. Que nenni. Une toux bizarre, inconnue au bataillon. Il a la tuberculose. Il revient d’Afrique et il a attrapé la tuberculose et il a fallu que ça tombe sur moi, pensé-je. Pourquoi ce n’est jamais la future rock-star ou le brun ténébreux intello, pourquoi ceux-là finissent toujours à côté de la blondasse de service et de ses 1,85m, pourquoi moi j’attire toujours les déchets et les formes à la limite de l’espèce humaine avec une allergie évidente à tout ce qui parle d’hygiène.
Pendant ce dense monologue intérieur, l’homme n’a pas perdu son temps. Il se gratte maintenant le dos en se frottant contre le siège dans un remake assez intéressant de Baloo dans Le Livre de la Jungle. Un peu décontenancée – je ne suis pas encore bien au fait de toutes les pratiques tuberculeuses – je m’écarte légèrement, tout en n’ayant pas non plus le cran d’assumer complètement et de partir m’asseoir à l’autre bout du wagon en me faisant traiter de sale bourge raciste. Faut pas déconner, non plus, j’ai vécu cinq ans en Angleterre, c’est pas pour avoir le courage de ma malpolitesse.
Le gars tousse de plus belle. Je déclenche le plan ORSEC à l’intérieur de moi. En toussant, il pose la main sur le siège à deux nanomètres de mon trench. Je repense à ma mère qui m’a gracieusement fait choisir entre un four à micro-ondes et une machine à laver pour mon anniversaire à venir (On a le sens du cadeau artistique et inspiré, chez les Ceher). La question vient d’être tranchée à l’instant où le gars a contaminé la manche droite de mon trench préféré, celui du Comptoir des Cotonniers qui m’a coûté trois bras, même que j’ai du en emprunter un, de bras, pour pouvoir le payer, le trench.
J’ai prié à chaque station pour que mon calvaire prenne fin et qu’il déguerpisse. Avec le karma que je me trimballais aujourd’hui inauguré en beauté par la Caisse d’Epargne et sa magnifique incompétence ce matin, le gars ne pouvait que descendre au même arrêt que moi. 35 minutes d’apnée, on ne se rend pas compte, mais c’est long, en fait.
Ce type-là est une campagne de vaccination à lui tout seul. Je soupçonne un coup monté du Ministère de la Santé pour me refourguer ses vaccins à tout prix. Ca a marché, j’y vais la semaine prochaine.
Photo (c) Sean Lamb - All Rights Reserved.