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La vie dans mon quartier de lune
25 avril 2013

Le Cimetière du Montparnasse

Moncay

 

Un peu exaltée par les cadeaux que me fait la vie en ce moment, j’ai décidé d’aller chercher le calme, le recueillement et surtout un coin tranquille pour manger ma salade au Cimetière du Montparnasse ce midi. Je m’arrête en chemin dans une sandwicherie du boulevard Raspail où je rencontre un photographe, encore un, qui s’évertue à me croire danseuse. Flattée, je lui demande ce qui lui fait dire ça. Il met ses pied d’une façon qui se veut, j’imagine, représentative des pointes d’une ballerine, mais qui me fait plutôt penser à Charlie Chaplin. Il m’indique qu’il est photographe de troupes de danse et de cirque. Je lui réponds que je suis soulagée qu’il m’ait comparée à une ballerine plutôt qu’à un clown, bien que j’entretienne secrètement toujours un doute sur son imitation de Charlot.

En route vers le Cimetière avec ma salade, j’en fais trois fois le tour, en proie à l’incontournable Loi Shadok : quel que soit l’endroit auquel tu te présentes, l’entrée sera toujours forcément diamétralement opposée à toi. J’envisage d’escalader le mur, quand un gardien télépathe m’indique la porte à deux mètres de moi.  

Je garde ma salade anonymement protégée des regards dans un sac en papier neutre, histoire d’enquêter au préalable sur le bien-fondé du pique-nique en territoire cimetiérien. Honnêtement, les morts, je ne vois pas en quoi ça les dérange, au contraire, ça leur met un peu d’animation, mais ce sont les vivants, dont je me méfie. Déjà qu’ils ont l’air de m’avoir à l’œil depuis que j’ai eu des velléités d’escalade sur le mur d’enceinte.

J’espère du plus profond de mon âme que le gardien télépathe n’entendra pas ma pensée au moment où je pénètre dans le cimetière parce que de façon tout à fait regrettable, plutôt qu’un poème de Baudelaire sur l’éphémère, c’est Mushu le dragon dans Mulan qui résonne dans ma tête avec sa poêle à frire recyclée en gong chinois et son « Debout les morts, on se réveille, allez allez ! ». Je me mords les lèvres pour ne pas rire, c’est super handicapant, ces fous rire que je pique toute seule en me racontant n’importe quoi.

Au cours de mon itinéraire à rallonge sur l’allée de la 18ème division Nord et la 57ème division Est (quel esprit tordu a imaginé de donner des noms de régiments à des allées de cimetière plutôt que des appellations bucoliques genre allée des coquelicots, j’aimerais bien le savoir), je croise, dans l’ordre : une Portugaise qui parle très fort dans son téléphone à un certain Mimi qu’elle embrasse bien fort ; une pétasse à talons compensés, une clope dans la main, le kit mains libres dans l’autre (la logique dans tout ça ?...)  et une élégance sonore qui n’est pas sans rappeler Yvette Horner et son accordéon, un couple de touristes en train de rigoler dans une langue non identifiable. Je secoue la tête comme une petite vieille en dressant mentalement la liste des choses qui, selon moi, ne se font pas dans un cimetière.

Accablée par tous ces manquements aux morts, je décide que ma salade est bien inoffensive, en comparaison, et j’entreprends de la manger en m’asseyant sur un banc à l’écart. Je mange, donc. Puis un couple vêtu de noir passe devant moi. Puis un autre. Enfer et Damnation (expression peut-être mal choisie vu le contexte, je vous le concède), je comprends assez rapidement que je suis sur le trajet d’un enterrement. Je me sens un peu bête, avec mes couleurs violettes et bleues, et mes crudités multicolores. Je me recroqueville sur mon banc, toujours plus de gens en noir, c’est une véritable autoroute endeuillée cette 53ème division Zénithale, et puis un détail me distrait de ma salade. Je note soudain qu’il y a une proportion anormalement élevée de trentenaires. Des jeunes, beaucoup de jeunes, trop de jeunes. Ca me rappelle un autre jour ensoleillé de printemps, un if penché au soleil, et un autre cimetière bondé de trentenaires en pleurs. J’en faisais partie.

Un vieux monsieur me sourit, je comprends que ça fait du bien, une tâche de couleur dans tout ce noir, et la vie qui continue avec mes carottes râpées. J’attends quand même qu’ils passent avant de pêcher le vinaigre balsamique dans le sac en papier.

Je me dis qu’il est temps de retourner bosser, alors je me lève en m’engageant dans la 17ème division Quelque Chose, je fais un détour par la tombe de Cioran, hommage à ma copine Télophase, et je me rappelle une fois de plus pourquoi, de tous les cimetières, Le Père Lachaise et le Cimetière du Montparnasse sont les seuls dans lesquels j’accepte de mettre les pieds. Et puis je retourne dans le monde des vivants, celui du soleil qu’on tient pour acquis comme si c’était une évidence, celui du bonheur et des pépites au cœur des rencontres. J’aime ce monde, celui des ballerines et des synchronicités, des rues parisiennes et de mon enfance, des amis très chers et de mes liens viscéraux aux autres, mais l’espace d’un déjeuner, je suis heureuse que les morts m’aient fait une petite place sur leurs terres pour me laisser manger ma salade.

 

 

 

Photo (c) Moncay - Tous Droits Réservés

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Commentaires
R
oui et je penserai à toi ;o)
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C
N'hésite pas, ça leur fait de la compagnie, ils aiment bien, les morts....
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R
je t'y vois... avec ta salade et le défilé mortuaire ! j'adooooore ;o) et ça me donne envie de retourner me balader dans ce cimetière où j'étais allée "voir" michel berger et gainsbourg ;)... j'irai peut être avec une salade ou un hot dog...
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