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La vie dans mon quartier de lune
26 novembre 2011

resto dans le noir

En prévision d’un dîner avec trois amies la semaine prochaine, j’ai décidé d’innover et de proposer un endroit insolite : un restaurant tenu par des aveugles, dont les serveurs sont aveugles, et qui se trouve à toute heure plongé dans l’obscurité la plus complète, en particulier au moment des repas (c’est quand même le principe, essayez de suivre, quand même, parce que ça se complique encore par la suite, alors si vous perdez le fil dès maintenant, ce post va vite ressembler à un labyrinthe). Ma proposition, bien que confrontée à un refus triple, immédiat et sans appel (je me demande si notre génération ne vieillit pas un peu), a engendré toute une réflexion autour de ce restaurant inhabituel, qui, à défaut d’yeux, devait avoir les oreilles qui sifflaient.

Mes amies ont en effet soulevé quelques questions épineuses que, dans mon grand enthousiasme qui ne voit généralement pas plus loin que le bout de son nez (ce qui me semblait cependant suffisamment loin pour un repas dans le noir), je n’avais pas envisagées. J’ai noté que l’inquiétude principale portait sur le contenu de l’assiette (100% des personnes interrogées étant des Françaises, cette constatation n’a finalement rien d’étonnant. Nous sommes quand même le pays qui a hissé le fait de manger au rang de sport national.)  La crainte de ne pas identifier la nourriture proposée fait figure de grande favorite dans les sondages, crainte que l’on peut rapprocher de l’appréhension de l’homme adultère qui se rend compte qu’il vient de prononcer le mauvais prénom. « Merci pour cette délicieuse côte de porc » alors qu’on vient de s’avaler deux kilos de ragoût de veau, ça s’appelle une belle boulette (je vous ferai grâce du jeu de mots sur boulette de viande). Je partais du principe que les plats seraient élaborés à partir d’ingrédients somme toute simples et donc facilement reconnaissables et n’ai par conséquent, imprudente que je suis, absolument pas anticipé tous les quiproquos liés au fait de se nourrir dans le noir.

J’avais à peine fini de défendre mon beefsteak sur le coup de l’identification des corps, qu’une nouvelle objection était soulevée, et non des moindres : comment faire pour manger dans le noir complet sans se renverser la moitié du bœuf bourguignon sur le chemisier ? Remarque très juste, comme j’ai été forcée de le reconnaître. Avec une trajectoire de fourchette effectuée dans une impitoyable obscurité, il faut nécessairement s’attendre à une rentabilité de 50%, en d’autres termes à 50% de pertes. C’est encore une de ces histoires de fourchette à moitié pleine ou fourchette à moitié vide selon la nature plus ou moins optimiste de chacun, n’empêche que le fait est là, comment ne pas se retrouver  déguisée en boîte de petits pois ambulante parce qu’on s’est renversé une partie du contenu de son assiette dans les poches du pantalon ? De ce côté-ci, la parade était toute trouvée, en tout cas pour mon cas personnel : obscurité ou non,  un repas à mes côtés (et surtout en face) défie toutes les lois physiques les plus rationnelles : la côte de porc un peu caoutchouteuse va toujours partir dans la direction la plus improbable, je suis imprévisible, manger en ma compagnie revient à miser sur l’outsider au PMU. Mes parents ont longtemps tenté de cacher mon existence au noirmonde moderne, honteux d’avoir créé un croisement dans un contexte alimentaire entre le Diable de Tasmanie et Wonderwoman quand elle tourne trois fois sur elle-même. De ce point de vue, on comprend donc que j’accueille la perspective de manger dans le noir comme une excuse providentielle pour expliquer l’état de chaos avancé qui caractérise mon assiette en fin de repas. Mes amies, dotées d’un esprit de logique indéniable, ont reconnu que c’était un argument de poids.

Refusant de m’accorder une victoire si rapide, elles ont aussitôt bifurqué sur l’objection des voisins de table qu’on ne peut pas reconnaître puisque, très logiquement, on ne les voit pas. Là, je dois admettre qu’elles marquent un point. Sachant combien quatre filles ensemble peuvent être de véritables langues de vipère, ne pas être en mesure d’identifier ses voisins de table, et par conséquent ses ennemis potentiels, relève du saut en parachute sans parachute. Surtout qu’emportées par notre élan, nous ne nous privons pas de citer des noms et d’abreuver de qualificatifs joyeusement colorés les personnes que nous avons dans le nez à défaut de les avoir à l'oeil. L’une d’entre nous a alors finement exprimé son inquiétude à l’idée que l’on puisse passer une soirée à hurler (parce que lorsque l’être humain ne voit pas, c’est un fait, il a tendance à crier pour compenser) l’incompétence d’une personne que l’on connaît et à railler ses habitudes vestimentaires pour s’apercevoir qu’elle était assise à la table d’à côté pendant tout le repas. Situation des plus embarrassantes, s’il en est.

Pour finir, s’est posé le problème de l’addition. Incapable de faire taire mes gènes bien français, mon cerveau bourré de ressources a tout de suite saisi l’occasion de magouiller : j’ai donc suggéré qu’avec un peu d’entraînement préalable, nous serions probablement en mesure de nous faufiler dehors avant l’arrivée de l’addition sur notre table.  L’une de mes amies, l’esprit pratique, pense qu’ils « ont du tendre des fils avec des clochettes devant la sortie, pour être prévenus en cas de fuite. » Solution très judicieuse et avec un petit côté délicieusement artisanal, mais néanmoins un tantinet tirée par les cheveux. C’est un restaurant parisien, ce n’est pas non plus Alcatraz.

Trois contre une, c’était perdu d’avance, et de toute façon, je n’avais pas vraiment envie d’y aller, je voulais juste qu’elles me donnent des idées pour ma note de blog.

 

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Commentaires
C
tsk tsk, je suis courageuse mais pas téméraire, moi!
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P
Ah! je savais bien que tu ne pouvais pas avoir VRAIMENT envie de dîner en aveugle!
Répondre
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