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La vie dans mon quartier de lune
4 décembre 2013

Gravity

Gravity -c- nasa

 

Avec l'esprit contradictoire qui me caractérise, il a suffi que tout le monde crie au prodige Gravity pour que je n'aie plus envie d'aller le voir.

Et puis en raison de circonstances indépendantes de ma volonté, mais dépendant très étroitement de celle de ma soeur ("bon tu te bouges, oui? On va aller le voir ce film. C'est pas une question, c'est un ordre."), j'ai atterri dans une salle de cinéma dimanche dernier face à ce qui ressemblait fort à Gravity.

Comment vous dire que ce film m'a complètement secouée et que ça n'a rien à voir avec les 54 cigarettes russes que j'avais englouties au goûter? (J'avoue un faible appuyé pour les cigarettes russes. Mais pas les contrefaçons. La vraie cigarette russe Delacre, bien roulée. Si. Bien roulée.)

Gravity. Je m'égare. Faut dire, il y a la place pour. Imaginez-vous un film qui regroupe vos deux pire - et uniques à ce jour - phobies. Je vois bien que c'est abstrait, prenons un exemple: soit un type qui a une peur panique des grenouilles et qui refuse catégoriquement de prendre l'ascenseur. Mettez ce type seul avec une grenouille dans un ascenseur. (C'est pas gentil.) Vous avez une bonne chance de le retrouver en mort cérébrale à son arrivée à l'étage des luminaires (si l'ascenseur est celui d'un grand magasin, je regrette, cette histoire est parfaitement plausible). Vous avez saisi l'idée.

Côté grenouille, je suis plutôt calme, et sans être une grande fan des ascenseurs, je me raisonne quand il s'agit de monter les 88 étages de l'Empire State Building. Mais il y a deux choses qui me transforment en autiste qui se balance très vite d'avant en arrière en répétant "Je suis une excellente conductrice!", c'est la claustrophobie aiguë et la peur d'être loin des miens. On comprendra mieux alors mes positions de marionnette désarticulée sur mon siège de cinéma dimanche dernier. Gravity m'est ce que la grenouille dans l'ascenseur est au gars du rayon luminaires.

J'aurais du me méfier quand j'ai vu que la salle où était projeté Gravity se trouvait juste à côté du poste médical de tout le cinéma. "C'est une coïncidence!" me dit Soeurette en balayant ce détail de la main. Forcément, ce n'est pas elle qui s'est retrouvée en attaque de panique dans les grottes de Dordogne en 1992. Alors elle s'en fiche, elle passe toujours Noël avec son amour-propre, tandis que ça fait des années que le mien ne me parle plus.

Premières images du film, tout va bien, jusqu'à ce que je capte des regards de travers de Soeurette à ma droite et du monsieur à ma gauche. Je m'aperçois alors que ma respiration est synchronisée sur celle de Sandra Bullock dans son casque d'astronaute, sauf que dans l'espace, ça fait mode, alors que dans une salle de cinéma terrestre, ça fait juste personne bizarre dans le train à côté de laquelle on ne veut pas être assise. J'essaie de me contrôler, mais je passerai finalement le film à nicolashulotiser en sourdine. C'est juste qu'il fait une chaleur, dans ces casques, moi j'ai l'impression d'étouffer.

Et puis j'ai à peine eu le temps de m'habituer à mon casque que mon pire cauchemar se matérialise sous mes yeux: Sandra va se faire éjecter dans l'immensité spatiale, Sandra se fait éjecter dans l'immensité spatiale, Sandra a été éjectée dans l'immensité spatiale. En roue libre, sans attache, ils appellent ça "dériver". Je suis obligée de m'interposer. Dériver, en langage terrestre, ça veut dire fumer deux-trois joints pour les humains, au pire dévier sa course de deux-trois océans pour les continents, mais en aucun cas ça ne signifie se retrouver dans le vide et l'infini hors de portée des tuyaux d'arrosage des pompiers. Sandra panique, et je panique avec elle. Qu'est-ce que c'est que ce film? Pourquoi ils me font ça? Ils veulent battre le record de la première morte par empathie devant la misère de son semblable? C'est du n'importe quoi, je nicolashulotise de plus belle, et je me fiche pas mal des regards de mes partenaires latéraux. Je vais crever, c'est sûr, je vais crever, si Sandra ne se reprend pas très vite, on consomme trop d'oxygène à nous deux.

Et puis un éclair, mon cerveau analyse la cause de ma frayeur démesurée devant ce qui n'était encore une heure auparavant qu'une "grosse production américaine de plus": l'humain perdu dans l'espace à des millions d'années-lumière de tout semblable vient de s'amalgamer dans mon esprit avec cette vision que j'avais eue lors d'un voyage en avion il y a quelques années. Par une belle traversée transatlantique de jour, j'avais nonchalamment jeté un coup d'oeil par le hublot d'une des issues de secours. L'inconsciente. Pétrifiée, j'avais contemplé une chaîne de montagnes parfaitement glacées, des monts de glace, une mer de glace, rien d'autre que de la glace, même pas l'eau vivante de l'océan, non, juste l'immobilité de la glace. On survolait le nord du Groënland. C'était magnifique, je n'ai jamais vu un spectacle aussi beau dans ma vie ni avant ni depuis, mais l'espace d'un instant, une immense solitude s'est abattue sur moi. J'étais à des milliers de km de mes proches en Europe, à des milliers de km de mon homme aux Etats-Unis, je ne connaissais personne à des milliers de km à la ronde. Ca vous remet à votre place, des expériences comme celle-ci. Je suis allée me rasseoir avec un énorme sourire pour mes voisins de siège que ma soudaine convivialité a du effrayer, et j'ai prié Dieu, Allah et Yahvé pour mettre toutes les chances de mon côté..

Assise dans ce cinéma dimanche, cette peur-là, cette solitude de l'être humain face aux éléments m'est revenue en pleine figure à la même vitesse que les débris cosmiques vers Sandra Bullock. Sauf que moi je n'avais pas George Clooney et son coussin péteur pour venir me chercher au milieu du vide. Le monde est mal fait.

Après des minutes difficiles, Sandra et moi nous retrouvons enfin dans un machin au nom soviétique (c'est toujours la faute des Russes, même dans Gravity, c'est le seul reproche que je ferais au film: la guerre froide est terminée, les mecs, remettez-vous!) avec, semble-t-il, suffisamment d'air pour nous deux, quand BAM! Tout explose (qui c'est qu'a laissé le gaz ouvert?), tout le monde meurt même ceux qui l'étaient déjà, et Sandra a juste le temps de ramper-flotter jusqu'à une boîte de conserve d'environ un demi-mètre carré de surface. Le pire, c'est qu'elle a l'air de vouloir s'y enfermer. Moi j'aurais au moins laissé la fenêtre ouverte pour faire un peu d'air. Et puis la clé de contact ne fonctionne plus, ça doit être la batterie, bref, Sandra se rend compte qu'elle va sûrement mourir dans ce minuscule espace à des milliers de km de toute âme qui vive. Je commençais tout juste à réguler ma respiration, ma deuxième phobie débarque. Elle va pas rester enfermée dans ce truc? Ils vont pas nous faire passer le reste du film dans ce machin minuscule, quand même? Ils n'oseraient pas?

Ils osent. J'hyperventile de nouveau. Elle appuie sur des tas de boutons, je la supplie mentalement de se trouver un appart plus grand, là ça va pas être possible, enfermée dans un tout petit machin comme ça, non non, sandra, même mon appartement me paraît démesuré par comparaison. Je reçois un coup de coude dans les côtes, je me retourne pour voir qui bombarde ma capsule, Soeurette me jette un regard furibard. Je découvre que j'effectue sans m'en rendre compte une sorte de descente en rappel le long de mon siège avec les jambes qui patinent désespérément sur la moquette du cinéma. Je repense à cet ami qui m'avait dit " Le film ne dure pas très longtemps, mais de toute façon, c'est aussi bien, au bout d'un moment, c'est un peu oppressant." Je le maudis. S'il m'avait dit "napalmisant de l'électrocardiogramme", j'aurais eu une chance de me préparer psychologiquement. Sandra a eu 6 mois d'entraînement intensif à la NASA. Moi j'ai eu deux minutes de générique. En plus, c'est elle qui a le casque.

Je ressors de là atomisée, en larmes, abasourdie, émerveillée (y a George, quand même), atterrée, choquée. Soeurette me demande si je veux passer au poste médical. Je la regarde et je lui dis "Je suis une excellente conductrice."

 

Photo (c) NASA

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Commentaires
R
Va sur le mien et clique sur Younder dans mes liens ! Clin d'œil ! Et bizzz
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C
Merci Christine, je suis toute flattée et toute rougissante de tes compliments! Je voulais aller sur ton blog, mais en cliquant sur ton pseudo, j'arrive sur la page d'accueil de Canalblog. Comment s'appelle ton blog?
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C
Excellent, je me suis régalée. Et comme j'ai vu ce film que je me suis empressée d'oublier, je l'ai vécu à travers toi d'une autre manière, bien plus drôle.<br /> <br /> si ça ne t'ennuie pas, je t'ai mise dans mes favoris, j'en ai très peu mais là je suis sous le charme !
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C
Ma Télophase qui est revenue! Viens donc plutôt boire un thé virtuel avec moi, je te parlerai des rues parisiennes, tu me parleras d'eucalyptus! George peut attendre.
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T
Tu me donnes très envie de le voir ! Ton texte "critique" est une excellente publicité pour le film :)
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