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La vie dans mon quartier de lune
28 décembre 2011

Bronches

Depuis cinq jours j’ai effectué un glissement discret de la catégorie « être humain » vers la catégorie « poisson à branchies apparentes ».  A l’instar du jouet que ma petite cousine de 2 ans a reçu pour Noël, j’émets à chaque pas que je fais un ronronnement de moteur  qui, s’il est accompagné d’une tentative suicidaire de proférer quelques mots, peut éventuellement se transformer en sifflement aïgu à très court terme. A ce stade sonore, les personnes se trouvant dans un environnement proche posent sur ma sinistre personne des yeux interloqués, avant de comprendre, pour certaines d’entre elles, la cause dudit sifflement et de s’éloigner  en m’assenant la phrase de quarantaine rituelle « aaaaaaaaahh tes microbes, tu les gardes, hein ! J’ai pas envie de passer mon réveillon au lit ! »

A toi, je peux bien le dire, ami lecteur : j’ai la nostalgie de ma période humaine. Ma voix me manque terriblement, et bien que ma parenté récente avec Louis Armstrong au niveau vocal me flatte au plus haut point, je ne peux m’empêcher, faiblesse toute midinette, de regretter un peu le temps où ma voix s’accordait facilement avec mon mètre soixante-trois. Et puis surtout, j’ai toujours détesté les cours de sciences nat, mais je mesure aujourd’hui que les bronches doivent finalement bien avoir une utilité quelconque. C’est quand on en est privé, comme c’est mon cas actuellement, qu’on sent bien qu’il manque quelque chose, sans pouvoir mettre le doigt dessus précisément.  Non, avec le recul, je n’aurais pas vendu mes bronches au diable, si j’avais su. Tandis que je me casse en deux pour expectorer (c’est la notice de mon sirop qui parle aussi pompeusement), un combat sans merci se livre à l’intérieur de ma pauvre carcasse. A chaque quinte, comme au poker, je rafle la mise : je pleure comme si je visionnais Bambi pour la première fois, je souffle comme un pachyderme qui serait monté à la Tour Eiffel à pied, tout tourne autour de moi, je m’accroche à tout ce que je trouve sur mon passage, poignée de porte, cravate portant un homme ou non, rebord de meuble, napperon en dentelle sur lequel se trouve un vase en cristal, celui auquel je tiens tant. Et si autour de moi, ma toux sème la confusion, à l’intérieur, c’est la dévastation. Mes bronches rejouent Stalingrad au piment rouge, je visualise des lambeaux bronchiques qui claquent sinistrement au vent et j’ajoute bien vite au stylo rouge une clause à mon testament : interdiction de me faire subir une radio à l’autopsie, mon intérieur est tout sauf présentable, merci de revenir plus tard. Pendant que mes bronches se défendent vaillamment et bruyamment, je repense à cette ère mythique, ce temps où je pouvais me glisser dans mon lit en pensant aux insultes que j’allais envoyer à un client qui m’horripile, et je sombrais dans les bras de Morphée avec un sourire bienheureux aux lèvres.  Ce paradis-là a bel et bien disparu, désormais le coucher relève du rituel de grands blessés en soins palliatifs : bouteille d’eau, check ; sirop, check ; Paquet de mouchoirs, check ; radiateur ni trop fort ni trop bas, check ; écharpe, check ; pas trop serrée parce que je ne veux pas mourir étranglée, check ; gant humide sur le nez, check. Je me couche en position assise, comme les trouillards qui ne voulaient pas mourir pendant leur sommeil au Moyen-Age (rien d’étonnant à ce que l’espérance de vie n’ait pas dépassé 30 ans, à cette époque, parce qu’à ce rythme-là, moi, je meurs d’épuisement dans 17 jours environ), et je compte mentalement jusqu’à 15. LesBronchesA 15 et demi, ça ne loupe jamais, le premier chatouillement me démange le fond de la cage thoracique, et à 16, vlan, le concert commence. J’attrape alors le gant humide et me l’applique sur le nez en respirant difficilement, comme Dark Vador quand il enlève son masque pour voir son fils, et j’implore mon chat du regard. Mon chat n’ayant pas tellement aimé Star Wars, il en profite pour se lever et aller aspirer ses dernières croquettes pendant que je m’étouffe misérablement dans mon lit en me disant que c’est ballot, quand même, je vais crever  seule. Au moindre signe d’accalmie, j’attrape mon téléphone portable et je compose plusieurs fois d’affilée le 18, en brandissant le clavier sous le nez de mon chat en train de digérer ses croquettes. J’espère vaguement qu’il saura appeler les pompiers lui-même si je sombre dans l’inconscience par manque d’oxygène. Puis, je me rappelle d’un coup que je ne suis pas très bien épilée, et qu’il est hors de question que les pompiers me voient dans cet état-là. J’enlève alors d’un geste vif le téléphone resté sous le nez du chat impassible, et je l’éteins, afin d’éviter tout acte héroïque intempestif de sa part. Et avec la grande culture littéraire qui me caractérise, je me fais immanquablement penser à Virginie dans le roman Paul et Virginie, qui préfère se noyer plutôt que d’enlever ses vêtements et de se jeter à l’eau, cette gourde. Je me demande si ce n’était pas simplement que Virginie n’était pas très bien épilée ce jour-là.  

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