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La vie dans mon quartier de lune
18 juin 2014

Travaux suite (et fin, j'espère!)

Le cerveau humain est une chose merveilleuse. Il oublie allègrement tout ce qui menace son équilibre vital dans un délai assez réduit.

N'échappant pas à la règle, le mien de cerveau a décrété en début de semaine que l'heure était venue de refaire la dernière pièce de l'appartement qui n'est pas encore passée à la moulinette céherienne.

C'est marrant. Il y a deux jours, à la même heure, la perspective de décoller l'affreux papier peint et toute la sorte de choses qui accompagne normalement le dépapiétage me mettait en joie. Comme si les 18 mois précédents de hurlement à la lune, de suée et de sang et de "saleté de travaux de haricots verts (j'aime pas les haricots verts) et de *@cdjeify (j'ai toujours rêvé de faire les mêmes insultes que dans les bulles de personnages de BD énervés. J'ai jamais réussi)." n'avaient jamais existé. Mon cerveau a aministié tout le monde en un grand coup de baguette magique, "des travaux qui m'en ont fait baver pendant plus d'un an? Mmm, non je ne vois pas, et hop! De toute façon, y a prescription!" Un laxisme tel que même Taubira en rougirait.

C'est donc avec toute la pimpance de ma jeunesse (le premier qui moufte au mot jeunesse, je le fusille sur place) que j'ai attrapé mon escabeau et que j'ai commencé à dépapiéter le premier mur du couloir. Il y a du y avoir un court-circuit, là-haut, parce que tout m'est revenu en bloc à la seconde où j'ai arraché le premier cm² de papier peint moche. Le labeur, les pleurs, l'esclavagisme, les "j'vous jure, madame, j'vous jure!", tout. Sauf qu'il était trop tard. Le premier morceau de papier arraché, et c'est foutu, on ne voit plus que ça.

Voilà donc trois jours que je trime comme une malade, en ajoutant un peu plus de retard sur mon programme chaque soir et que je m'aperçois que je suis une enfant adoptée, parce que mon vrai père est clairement Pierre Richard. J'ai à peu près tout fait, mettre le pied entre deux marches de l'escabeau, pile à l'endroit où il y a du vide; me rattraper de justesse en pensant "Ouf! In extremis! Au moins, je ne l'ai pas mis dans le pot de peinture!"; mettre le pied dans le pot de peinture aussitôt après; poncer la baguette en plastique sans me rendre compte que c'est du plastique; faire goutter la peinture pile à l'endroit du parquet qui ne doit pas être recouvert par un nouveau sol.

J'ai fini par arrêter de lutter, nager contre le courant est le meilleur moyen de se noyer. J'ai donc fait fi de toutes les réminiscences de conseils paternels en matière de bricolage, je me suis mise pieds nus en short, j'ai inspiré un grand coup avalant au passage toute la poussière jaune du ponçage, et j'y suis allée à l'instinct. D'abord, les hommes des cavernes n'avaient pas de Larousse du bricolage pour refaire leur entrée, et pourtant ils se débrouillaient quand même, hein? Ce qui marche pour eux marche pour moi, y a pas de raison, on a déjà la même façon de se tenir à table.

J'ai donc laissé tomber la spatule, et j'ai trempé les doigts dans le pot d'enduit, avant de l'étaler amoureusement du bout du doigt sur les plinthes et dans les fissures des portes. Et c'est en m'appliquant à enduire les plinthes à mains nues que la dimension affective de la chose m'a frappée: en étant directement en contact avec la matière, en touchant les arêtes de mon appartement, en le soignant comme une infirmière prendrait soin de son patient, je me suis rendu compte que je laissais des petits bouts de moi dans cet endroit, je m'imprimais dans ses lignes et que dans 300 ans d'ici, il y aurait encore des molécules de moi mélangées aux murs de cet appartement. Cette idée, si simple soit-elle, m'a profondément émue. Comme si ma petite tanière était un être vivant et qu'il y avait une connexion entre elle et moi.

Bien sûr, c'était avant de m'ouvrir le doigt sur la spatule.

Le moment que je préfère, dans les travaux, c'est la douche qui les suit. Et le moment que je préfère, dans la douche, c'est la raclette. Dans les films américains, lorsque quelqu'un se marie ou quitte la maison, l'un de ses parents (variante: arrière-grand-oncle, en tout cas quelqu'un de relativement grabataire et aussi sérieux que la moustache d'Hitler) s'approche d'un air grave en lui offrant un bijou, en général une bague, en expliquant qu'il s'agit de la bague de l'arrière-grand-mère (relativement morte, et tout autant de moustache) qui se passe de génération en génération. Bien. La famille Ceher a le même rituel, la moustache en moins, avec un héritage familial un peu plus déconcertant. Une raclette à vitre. Parfaitement. Le même genre d'instrument que les laveurs de carreaux des gratte-ciels américains. Le jour où j'ai officiellement emménagé, ma mère m'a attirée à l'écart d'un air solennel: "Ma fille, maintenant que tu as ta maison, je vais te dire mon secret (l'espace d'un instant, j'ai cru qu'elle me faisait le coup de la pub Uncle Ben's). On l'utilise tous, dans la salle de bain du haut, et tu vas voir, ça va changer ta vie quand tu feras le ménage chez toi." Et elle m'a tendu la raclette.

Moi aussi, j'ai ricané, quand elle m'a vanté les mérites de l'outil magique. Et puis un jour d'oisiveté dans la douche, j'ai essayé la raclette. (Oui, je sais, certaines ont des canards en plastique dans leur baignoire. J'ai une raclette. Je fais ce que je peux). Depuis, je suis accro. Et je jure qu'elle sera en bonne place sur mon testament lorsque je transmettrai mon patrimoine à mes enfants. A côté de l'empreinte de mes doigts en bas des murs de mon appartement

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Commentaires
C
J'espère qu'elle me le revaudra, parce que j'y ai laissé plusieurs tendons et muscles en tous genres!!<br /> <br /> <br /> <br /> Merci de ton passage dans mon quartier de lune!
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A
Je me suis bien amusée à te lire. Et j'ai retrouvé des situations connues....<br /> <br /> C'est courageux, de bricoler toute seule, et je suis sûre que tu t'en es sortie avec honneur, ta maison te le revaudra, sois-en certaine, elle va te protéger comme jamais !
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C
Merci de ton passage et de tes gentils mots! Evidemment que ton blog est dans mes liens d'amis, et depuis quelque temps, déjà. Comme le nom l'indique, ce sont les liens d'amis!
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A
Ah Ceher, en lisant ce super billet, je suis encore plus convaincue que tu es très douée pour l'écriture ! Quant au bricolage, ma foi, tu sembles donner de ta personne quasiment en pure perte ! ;-)<br /> <br /> Bon, je te souhaite que le résultat final des travaux soit à la hauteur de tes efforts...<br /> <br /> Au fait, je suis très touchée de découvrir l'impermanente parmi ta liste d'amis... ça me fait tout drôle... A tout bientôt...
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C
Merci Clem d'être passé déposer un gentil commentaire alors que c'est une période chargée question exams pour toi!
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