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La vie dans mon quartier de lune
3 mars 2014

Le semi-marathon de Paris

semi-paris-20141

Cher lecteur, je ne sais pas combien d'entre toi ont vu le Roi Lion. Dans le film, il y a cette scène cruelle de mise à mort comme seul Disney sait en insérer au beau milieu d'un film destiné aux 6-8 ans. Le valeureux roi de la savane, le lion fier et majestueux meurt pathétiquement ratatiné par un troupeau de buffles enragés qui n'est pas sans rappeler l'attitude de l'Homo Sapiens le premier jour des soldes. Et d'ailleurs, ce ne sont peut-être même pas des buffles mais des antilopes, pour ce que j'en sais, en tout cas c'est un animal à corne qui a le sens de la famille et qui s'effarouche d'un rien. Pour résumer, donc, le papa lion arrivé aux caisses se rend compte que son fils ne le suit pas et le retrouve perdu au rayon MacBook Air à prix cassés au moment d'un passage de geeks. Le gamin manque se faire piétiner, et c'est finalement le père qui termine en tapis de cheminée.

Eh bien crois-le ou non, ami lecteur, j'ai vécu cette scène d'une violence insoutenable ce weekend, les MacBook Air à prix cassés en moins (Faut pas rêver, non plus. Le jour où Apple cassera ses prix, Carla Bruni voyagera en classe économique.) Parfaitement, la même scène. Le piétinement, les buffles déguisés en antilopes, la peur au ventre, les hurlements, tout ça.
 

Des amis par ailleurs plutôt normaux ont traversé la moitié de l'Europe pour venir courir le semi-marathon de Paris dimanche matin. L'un d'eux un peu moins atteint que les autres décide de jouer les supporters endiablés sur le trottoir en ma compagnie. Comme le hasard fait bien les choses, la course passe par ma rue, nous sirotons donc tranquillement notre tasse de thé sur le balcon au soleil en vantant trois fois par minute notre amour du sport, en particulier quand il est pratiqué par les autres. Et puis à l'heure estimée du passage de la comète de Haley dans le ciel de ma rue, nous descendons sur le trottoir déjà surpeuplé, et nous inspirons un grand coup histoire de nous mettre en voix. Copain émet soudainement un bruit curieux à mi-chemin entre celui d'un cadavre étranglé et du schtroumpf bricoleur quand il s'est donné un coup de marteau sur le doigt. Effrayée par la pâleur de son visage, je suis son regard et m'aperçois qu'une nuée déboule du bout de la rue, et qu'elle ressemble aux coureurs que nous sommes venus encourager. Un doute m'effleure, je me demande s'il est bien envisageable de reconnaître qui que ce soit au milieu de ce nuage de fous furieux en short. Les dieux sont avec nous, ce n'est qu'avec 45 minutes de retard sur l'horaire initiale qu'on repère finalement nos poulains, frais et dispos parmi les coureurs. Grands signes, époumonement de rigueur, le tout d'une durée d'environ trois secondes et demie, puis Copain et moi nous retrouvons comme des imbéciles seuls sur le trottoir. Avec toute la satisfaction du travail de pompom girl bien fait, nous décidons d'aller déjeuner à Bastille. Et la direction de Bastille, c'est le trottoir d'en face.

Conciliabule sur la façon de traverser la route au milieu du marathon, "mais si, il suffit de courir en même temps que les coureurs, je te dis!", "T'es pas bien, non? Tu m'as bien regardée? La dernière fois que j'ai couru, on rembobinait encore les cassettes avec un crayon!" et voilà Copain détalant de façon parfaitement déloyale vers l'autre côté de la rue. Avais-je le choix? Je me lance dans la mêlée, j'entends un bruit bizarre, je ne m'arrête pas, cours Forrest, si tu t'arrêtes, t'es mort, et j'atteins l'autre rive saine et sauve. Quelques coureurs crient "A-phone!" et je les trouve bien frétillants, pour des gens aphones. Et puis mon cerveau traite l'information par principe de précaution, et traduit: "Mademoiselle, votre téléphone!!!" Panique, une main dans ma poche, le constat est sans appel: mon téléphone n'est plus là, le BONG! que j'ai entendu était bien celui de la chute de feu mon téléphone qui gît désormais en plusieurs endroits de la chaussée, plutôt vers le milieu d'ailleurs. Copain se gratte la tête. On voit qu'il est allemand, il réfléchit à la façon de rattraper le coup, on dirait un GPS qui recalcule mon itinéraire après avoir pris la mauvaise sortie sur l'autoroute. Le côté méthodique et rigoureux du scientifique en lui m'envoie récupérer les deux morceaux les plus accessibles. Mais rien à faire, il manque la coque arrière, et mon coeur sombre avec le Titanic en l'apercevant au beau milieu de la route, pile à l'endroit vers lequel se dirige un essaim de coureurs. Copain, concentré sur la cible, s'essaie au saut sur place et me rappelle les faux-départs de mon chat quand il s'apprête à grimper sur le plan de travail.

C'est alors que la scène du Roi Lion me revient en pleine face, comme une gifle. Je vois le futur défiler devant mes yeux, je vois la mort horrible à laquelle s'expose Copain, et je lui crie "Non! Ca ne vaut pas le coup! Non! Ne fais pas ça!" mais le vent emporte ma voix, Copain n'entend plus, il s'élance, je ne veux pas voir ça, il court vers la coque blessée, il va pour la saisir, un groupe de coureurs se rapproche, les doigts de Copain grattent le goudron désespérément, l'objet lui échappe, le groupe le rattrape, le voilà emporté par le flot, il n'a plus qu'une seule chance de survie, il se met à courir avec les coureurs. Il tente des sorties latérales, mais des coureurs surgissent de part et d'autre et le courant le rabat impitoyablement au milieu de la mêlée, il court, il n'a pas le choix, il court droit devant, et je vois son manteau et son écharpe très chics s'éloigner dans la masse des shorts et des maillots flashy.

J'ai honte, Lecteur. J'ai honte, parce qu'à cet instant tragique, j'ai été secouée d'un fou rire inextinguible. J'ai honte parce qu'alors que Copain venait de risquer sa vie pour moi et allait peut-être devoir courir le semi-marathon jusqu'au bout avant de pouvoir s'en extirper, j'ai du m'asseoir sur le perron d'un immeuble pour ne pas tomber de rire sur le trottoir. Pleurant de rire, j'ai finalement aperçu Copain réussir enfin à sortir du peloton tout en haut de ma rue qu'il venait de remonter parmi les coureurs, et se diriger vers moi. Heureusement que l'hilarité est contagieuse parce qu'au lieu de m'agonir d'injures devant mon ingratitude et mon manque flagrant de compassion, il a été contaminé par ma crise de gaieté et il nous a fallu plusieurs minutes pour reprendre notre souffle. Un vieux monsieur avec une canne s'est alors avancé vers nous en me tendant la coque de mon téléphone et m'a dit: "Tenez mademoiselle, je crois que c'est vous qui avez laissé tomber ça sur la route, je vous l'ai ramassé." Et le pire, c'est que mon téléphone fonctionne comme au premier jour.

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Commentaires
C
alors fonce !!!
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C
C'est super gentil, Christine, et ça me touche d'autant plus que c'est exactement ce que j'aimerais faire, et que j'y réfléchis de plus en plus ces derniers mois! Alors merci pour le soutien. Tu es voyante??
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C
tu as un vrai talent de conteuse. Tu devrais proposer des chroniques courtes à des magazines.
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R
ouiiiiii j'avais bien remarqué ta finesse :D
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C
Ah ah ton commentaire m'a re-déclenchée!
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