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La vie dans mon quartier de lune
28 janvier 2014

L'Emploi du Temps

Les mois d'hiver sont pour moi une source de stress à peu près équivalente à celle que provoque la mention du nom "Julie Gayet" à Valérie Trierweiler. La quasi-totalité de mon activité professionnelle se ramasse sur la période qui court de novembre à février, pendant laquelle je perds en général la vie sociale que j'ai réussi à reconquérir les huit mois précédents.

Dans ces conditions, on comprendra que le titre d'un article américain relayé sur Facebook m'ait alléchée: "J'ai vécu une journée en suivant l'emploi du temps de Benjamin Franklin et ça a changé ma vie." Je ne savais même pas que Benjamin Franklin avait eu un cahier de texte, encore moins qu'il était passé à la postérité. Forcément, je m'empresse d'aller lire l'article, histoire de perdre 5 précieuses minutes que j'aurais pu consacrer à respirer.

5h du matin, un rayon de soleil vient tapoter la joue de Benjamin, qui se dépêche de se préparer pour être habillé quand l'ami Ricoré passera lui apporter son café. Au bout d'une seconde d'une interminable réflexion, je décrète que le réveil à cinq heures du matin n'est absolument pas envisageable pour ma petite personne sous peine de me transformer en tyrannosaure blessé. La mauvaise humeur en plus. Je zappe cette partie, Benji ne m'en tiendra pas rigueur, je passe à l'étape suivante.

De 6h à 8h, Benjamin anticipe avec une sagesse toute milleseptcentquatrevingtonzième ce qu'il peut faire de bien pour l'Humanité pendant sa journée. Moi je me dis que si j'arrive à passer la journée sans estourbir la moitié de l'équipe éditoriale de mon client principal, ce sera déjà bien. 

De 8h à midi, Benjamin et moi travaillons sagement à nos bureaux respectifs. Je note toutefois que son téléphone sonne moins que le mien et que personne ne lui demande trois fois de chercher une photo "pareille que celle-ci, mais en plus différente, si vous pouvez". A 11h, il se lève pour aller se tartiner une tranche de pain, je m'apprête à l'imiter lorsqu'un email urgent s'affiche sur mon écran: "nous voudrions utiliser un tableau de Dali que personne n'a trouvé nulle part, pouvez-vous vous en occuper? Comment ça, ce n'est pas possible? Nous ne vous croyons pas, merci de nous faire suivre l'e-mail de refus que vous a envoyé Monsieur Dali." Benjamin revient de la cuisine en me soufflant "Bon appétit!" avec un sourire jovial, je lui aplatis sa tartine sur la figure.

De midi à 14h, (arrêtez de chercher), le grand Benjamin Franklin se consacre à "ses comptes", à lire puis à déjeuner. Alors déjà, il faudra qu'il m'explique comment il peut encore avoir faim après s'être englouti la moitié de la baguette à la pause de 11h, mais ne chipotons pas sur des détails. Perso, je suis en train de me faire cuire un plat de pâtes et j'en suis au meilleur passage, la sauce tomate, lorsque mon téléphone portable posé à côté de mon assiette sonne. " Nous avons sélectionné une photo de petits enfants africains handicapés pour la couverture de notre livre que nous allons vendre l'équivalent de trois lingots d'or pour que notre PDG puisse construire sa piscine dans le parc de son hôtel particulier, et nous vous envoyons donc un formulaire selon lequel vous vous déclarez seule responsable de cet usage, on fait comme ça, alors? Je vous l'envoie, vous n'avez plus qu'à signer." Je m'étrangle avec une tagliatelle, le reste de mon déjeuner se passera devant mon écran sur le site de l'Union des Photographes et les articles de loi en matière de droit à l'image. Question comptabilité, ça fait dix jours que ma comptable me réclame mes relevés de compte pro des trois derniers mois, ça attendra dix jours de plus.

De 14h à 18h, Benjamin et moi nous remettons au boulot. Benjamin trace des courbes élégantes sur son parchemin, il est super content de lui, je suis sûre qu'il ne s'amuserait pas plus avec une boîte de peinture façon maternelle XXème siècle. A 15h22, mon imprimante rend l'âme, je me mets un sac en papier sur la tête pour calmer l'attaque de panique qui me menace. Benji me fait signe de ne pas prendre les choses aussi personnellement, je lui balance l'encrier à la tête. Occupée à trafiquer mon imprimante d'une main, et de l'autre, à réconforter via Facebook une amie anglaise qui dépérit à Bordeaux, je ne peux qu'assister, impuissante, à la sonnerie concomittante de mon téléphone fixe et de mon téléphone portable. Je désigne les appareils du menton à Benjamin, pour qu'il me file un coup de main, mais il fait semblant de ne pas savoir comment ça s'utilise. Il ment effrontément, ça fait 15 ans que le téléphone est inventé, dans son espace-temps. A 18h moins une, coup de grâce, un email d'un client: "on peut s'appeler vers 22h35 pour faire un récap sur les photos de ce titre? Non je ne peux pas avant, vous savez bien que je traite toutes les questions importantes dans les heures ouvrables mais que je garde les choses insignifiantes comme les photos pour le milieu de la nuit - moment auquel je m'attends à ce que vous soyez à ma disposition, voyons!" Je m'empale de désespoir sur la canne de Benjamin, qui est déjà parti depuis 7 minutes. Sans ordinateur ni lumière à éteindre, on gagne du temps.

De 18h à 21h, Monsieur Franklin note avec beaucoup de conviction dans son emploi du temps: "musique, souper, divertissement, conversation, philosophie sur la journée qui vient de s'écouler". Je ne sais pas s'il fumait la pipe, mais c'est le moment où je l'imagine s'enfoncer dans son fauteuil douillet au coin d'un feu de cheminée, et se mettre à fumer sa pipe en écrivant un conte philosophique et moralisateur (ah non, pardon, ça c'est Voltaire!) qui va expliquer aux classes laborieuses pourquoi elles devraient arrêter de s'esquinter à la mine alors que la vie est si belle. De mon côté, je n'ai pas bien dressé mon téléphone, il ne s'est bizarrement pas arrêté de sonner à dix-huit heures tapantes, et c'est en n'ayant pas fait la moitié de ce que j'avais prévu de faire que je ferme ma boître électronique professionnelle à 21h passé. La conversation se fera sur Facebook à supplier mes amis de ne pas m'en vouloir de disparaître de la surface du globe pendant quatre mois chaque année. Je m'apprête à éteindre mon ordinateur, je vérifie une dernière fois mon adresse pro, au cas où il y aurait une urgence, erreur fatale, je suis repartie pour un tour et comme tout est fermé à cette heure-ci, j'ai toute la nuit devant moi pour regarder le plafond en ruminant sur ce qui m'attend le lendemain.

A 21h, Benji se lève et me souhaite bonne nuit en me demandant s'il n'avait pas raison, la vie est quand même plus sereine à son rythme à lui. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il a de la chance d'être déjà mort, sinon il serait mort une deuxième fois ce soir écrabouillé par une imprimante jetée par inadvertance sur sa grande personne.

 

 

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Commentaires
R
pas trop le temps, enfin si mais pas trop la concentration adéquate, un peu chamboulée, tsunamisée et tourneboulée, ça ira ça ira ça ira ;) !<br /> <br /> fais gaffe mon adresse blog a changé... fo suivre le fil... bisous
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C
Etienne: tu es donc un lecteur tout indiqué pour le conte moralisateur de Benjamin Voltaire sur pourquoi les classes laborieuso-chômeuses s'obstinent si stupidement à vouloir travailler dans des conditions désagréables alors que rentier c'est tellement plus enrichissant intellectuellement parlant. Il t'expliquerait, lui, pourquoi t'as tort d'être chômeur et comment tu devrais t'y prendre à la place. Benjamin Franklin ou l'ancêtre de Pôle-Emploi.
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C
C'est mieux? Bon, non ce n'est pas chez AlainX, pourquoi, il a un atelier d'écriture? Je vais voir ça de suite!<br /> <br /> Non le nôtre, voici l'adresse:<br /> <br /> http://366candice.canalblog.com/<br /> <br /> On suit une consigne par jour sur laquelle il faut écrire un court texte en rapport avec sa journée, peu importe la forme littéraire. Si ça t'intéresse, fais-moi signe et je t'envoie les consignes par mail.
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E
Bravo très beau texte, quelle belle écriture ! Moi qui suis un fainéant de chômeur qui se complaît dans sa condition....je suis étourdi par tant d'activité !..
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R
rozette ?? lol ça me fait penser à la saucisse ça !! ... newsletter... ben si, regarde à droite de ta page, tu as la fonction newsletter donc on peut s'abonner à ton blog (ce que j'ai fait !)... c'est chez alainX le défi écriture sur un texte donné ? oui donne moi le lien, je verrai !! ok pr les pieds mdr, tu aurais pu donner le lien, no problem ! à bientôt bisous
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