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La vie dans mon quartier de lune
30 septembre 2013

Internet en Amazonie

amazonie dalbera

Dans les méandres de mon travail ce matin, je tombe sur ce titre d’un article de Challenge, le magazine qui dérange : « Avec Internet, je pourrais travailler en Amazonie ».

J’ai été secouée d’un gros rire qui m’a fait dégringoler de mon fauteuil, avant de me calmer et de me rasseoir en hochant la tête doctement et en faisant « tsk tsk tsk… ».

S’imaginer qu’avec Internet, on peut travailler partout, c’est bien une erreur de débutant, ça.

Je n’ai pas lu l’article parce qu’il fallait payer pour y avoir accès et que le salaire du freelance ne lui permet pas de jeter l’argent par les fenêtres internet. Mais j’imagine sans peine le contenu de l’article.

Soit un type,  dont Internet constitue le principal outil de travail. Un soupçon d’indépendance, des conflits plus ou moins larvés avec son supérieur hiérarchique et le matraquage incessant des agences de voyages pour des destinations lointaines à portée d’avion, et hop, voilà notre type en train de réserver son billet pour Ouka-Ouka avant même d’avoir donné sa démission à Mikochrono Jacobsen Special Banking Customer in Brand Management Consulting Ltd.

Dans les faits, mon p’tit bonhomme, c’est autrement plus compliqué et j’en sais quelque chose, pour être dans la situation dudit type, les illusions en moins.

Dès l’abord, le type (appelons-le Ronaldo) devrait se méfier : le titre contient une aberration dans les mots même : Internet et Amazonie. Je ne veux pas être la Cassandre qui la ramène toujours pour annoncer des catastrophes croustillantes, mais Orange n’est même pas fichu d’assurer ma connexion Internet correctement alors que le siège de l’entreprise doit se trouver à 35km à tout casser de chez moi, alors bon courage à notre apprenti Ronaldo pour les motiver à 9000 km de distance. Ceci étant, vu le temps qu’Orange met à m’envoyer un technicien en cas de dysfonctionnement de ma ligne fixe, il n’est pas complètement inenvisageable que ce dernier débarque tout droit d’un vol Sao Paulo-Paris.

Mais la couverture réseau, il y a pensé, Ronaldo de Challenge, à la couverture réseau ? Non parce que déjà quand Météo France annonce des bourrasques à 80km/h sur la région parisienne, ma connexion saute comme si elle avait des puces dans le caleçon, à cause des branches d’arbre qui chahutent les lignes téléphoniques alors l’Amazonie, question arbres, c’est-à-dire….

Je vois d’ici Ronaldo-Robinson m’accuser d’y mettre de la mauvaise volonté, très bien, admettons qu’il se soit installé pile dans la zone déforestée par 27 ans de braconnage agressif, et qu’aucun arbre ne menace sa ligne téléphonique à 3680 km à la ronde. Bon. Il dispose donc d’une connexion parfaitement fonctionnelle, et on pré-suppose qu’il n’aura pas besoin d’appeler la hotline SFR trois fois par semaine. (Ronaldo est du genre optimiste).

Lundi matin, Ronaldo se lève, il se fait son café (un bon point pour l’installation en Amazonie : l’arbre à café pousse dans la cour arrière de sa maison) et s’installe tranquillement devant son écran d’ordinateur. Supposons donc qu’il s’agit d’un jour comme les autres, dénué de toute tempête tropicale, de tout règlement de compte entre cartels de la drogue, et de toute intrusion de la tribu Bukalamjao avec la tête du chien enfourchée sur une pique.  Ronaldo relève son courrier, il s’apprête à répondre au message urgent de sa correspondante parisienne qui a besoin d’une réponse lundi matin au plus tard en gras en rouge souligné trois fois c’est une question de vie ou de mort. Ronaldo a simplement oublié que son lundi matin à lui correspond au lundi après-midi parisien et que présentement sa correspondante git dans son sang aux pieds de son chef dans un bureau du 9ème arrondissement.  Mardi matin, Ronaldo a retenu la leçon, il se lève quatre heures plus tôt pour être synchro avec la métropole. Simplement, le télétravail en Amazonie à trois heures du matin heure locale, d’un seul coup, c’est un tout petit peu moins fun.

Ronaldo échange des emails avec ses clients parisiens frais et dispo, et tandis que la fatigue de la nuit courte commence à se faire sentir, on essaie de décontracter l’ambiance boulot-boulot en parlant du fiasco de tel acteur connu invité au JT de Pujadas la veille, « Vous l’avez vu, les gars ? Hallucinant, quand on pense que ce type est payé une fortune pour dire des horreurs pareilles sur une chaîne publique ! » et trois destinataires répondent dans la microseconde qui suit, laissant notre Ronaldo complètement largué derrière : il n’a pas la télé française, et à l’heure où il aurait éventuellement pu brancher le satellite, le 20h français tombait en plein milieu de son après-midi à lui et il était déjà couché pour pouvoir se lever en pleine nuit brésilienne et gérer les urgences françaises du matin en temps réel.

Ronaldo commence à se demander si cette histoire de télétravail en Amazonie était une bonne idée, quand il reçoit un carton d’invitation à un vernissage d’une expo photo où tout le gratin parisien sera présent. Surexcité (à titre de comparaison, le dernier événement local à susciter un engouement similaire chez les Amazoniens a été la Cérémonie du Scarabée Sacré au cours de laquelle trois bœufs ont été égorgés pile devant sa case), Ronaldo clique sur « Je serai présent » avant de se rappeler les 9542 km qui le séparent de la Galerie. Qu’à cela ne tienne, il va faire un tour sur le site d’Air France, je suis freelance, je suis libre et sans contrainte, si je veux je fais le tour du monde demain matin, et il tombe raide mort sur le sol de sa paillotte en voyant qu’un aller-retour Paris-Rio à 3 jours de préavis coûte 2756 euros. Sans les repas.

La mort dans l’âme, Ronaldo tire un trait sur le vernissage et retourne s’asseoir sur sa chaise amazonienne en face de son écran amazonien. Il attrape sa souris sans s'apercevoir qu’un boa constrictor est déjà en train de l’utiliser. Ronaldo est orgueilleux, mais même lui admet à ce stade que la France c’était un tout petit peu plus sympa côté boa constrictor.

Il va se faire une tasse de thé pour se remettre de ses émotions (because overdose de café qu’il ne peut plus voir en peinture) mais le pot de thé Pleine Lune de chez Mariage qu’il a apporté précieusement dans ses bagages est vide, et le seul thé disponible localement est un vague cousin du piment rouge extrême-onction. Ronaldo se verse un verre d’alcool local pour se consoler et se désinfecter l’intérieur, résultat: il passe l’après-midi aux toilettes.

Avec tout ça, son travail n’avance pas très vite.

Il décide de s’y remettre pour de bon et se lance dans une recherche en ligne sur un sujet de société. Google.br lui renvoie 2 résultats, le reste étant censuré au plus haut niveau de l’Etat. Son travail s’en ressent, son client lui préfère un concurrent basé à Montrouge dont le sujet sur le Brésil est particulièrement bien documenté.

Si Ronaldo n’a pas encore le cerveau attaqué par l’humidité et les moustiques géants, il prendra le premier avion pour la France et s’installera en freelance à 17 km de l’entreprise de ses clients.  Et il arrêtera de dire des âneries du style « Avec Internet, je pourrais travailler en Amazonie ».

 

Photo (c) Dalbera- Galerie d'Amazonie, Musée National d'Ethnographie de Lisbonne, Tous Droits Réservés.

 

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Commentaires
C
A vous aussi, on vous a fait le coup du boulot exotique version low cost? Ils sont de mèche avec le Club Med, je ne vois que ça.
Répondre
A
hhiiiii !<br /> <br /> Et c'est tellement vrai !<br /> <br /> Des comme ça j'en veux encore !
Répondre
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