A l'Amie à la mort
Oui j’ai bien conscience que le titre est un peu burtonien et n’a a priori rien de particulièrement enlevé, et pourtant il annonce un joli billet à l’attention de ma co-auteure unique et préférée, ma complice de chaque instant comme on dit aux Césars, ma co-farfelue des mots et des images, ma vitamine C avec un V comme V. et un C comme Céher.
Ayant sournoisement décidé que la grippe de Troie n’aurait pas lieu, je suis allée faire un pas de deux chez l’Amie, et nous sommes entrées en résistance ensemble. Un déjeuner impromptu comme au théâtre, moi qui déteste l’imprévu alors que l’imprévu dirige ma vie, et un de ces après-midis où le monde est une boule d’argile que nous façonnons à notre façon. Le temps s’arrête pendant quelques heures dans un bureau d’éditrice transformé en atelier, en stade de sport créatif sur lequel chacune renvoie à l’autre la balle des idées. Deux enfants de la balle, deux gamines à qui on donnerait des crayons, ma co-pilote et moi dessinons des personnages sur les murs imaginaires de son bureau, pour les effacer ou les garder au gré des humeurs, nous déroulons des histoires de fil conducteur, et chaque pelote court sur le sol, aimantée par nos éclats de rire et nos grimaces : « non, lui, il n’est pas crédible, ça ne tient pas, on le vire ! »
Quelques heures pendant lesquelles le monde extérieur n’existe plus que pour nous fournir de la matière qu’on peut travailler, de la lumière qu’on peut contraster, nos maux réels se mélangent à nos mots au-dessus d’une tasse de thé et forment des départs de romans et d’images. Nous jonglons avec nos formules comme des sorcières qui tâtonnent pour trouver l’abracadabra qui déclenchera tout. Et puis l’idée, celle qui part d’un mot, d’un rire jeté en l’air par l’une ou par l’autre et qui soudain, résonne différemment, et cet écho nous fait lever brusquement la tête, il est suivi d’un silence. Nos regards se croisent, elle a déjà compris, et j’ai compris qu’elle a compris ce qu’on voulait en faire et on veut en faire la même chose. Alors on ne lâche plus l’affaire, on se dépêche, on jette les mots, on écrit sur nos murs imaginaires à toute vitesse pour ne pas que l’idée nous échappe, pour l’emmener le plus loin possible, on jacksonpollockise les mots en les jetant en vrac sur le papier, qui les boit avidement, jetez-les tous, dieu reconnaîtra les siens, et un canevas apparaît finalement.
Alors, seulement alors, on se renfonce dans nos chaises, la même étincelle dans nos yeux, la même satisfaction, la même certitude que nous donnons chacune la main à la même histoire, et qu’ainsi soutenue, elle ne peut qu’aller plus loin.