Peinture de plafond
Il y a une chose que je ne souhaite pas à mon pire ennemi, c'est de repeindre son plafond.
Je ne sais pas si vous avez déjà repeint un plafond. Moi, je pensais que je l’avais déjà fait. Jusqu’à ce que je me rende compte qu’en réalité, j’avais seulement déjà COMMENCE à repeindre des plafonds. Pour une raison obscure, j’ai du en fait déserter le chantier à chaque fois, en laissant le grand costaud paternel prendre le relais. Sauf que pas de chance pour cette fois-ci, le grand costaud paternel a accumulé un certain nombre d’heures infernales version carrelage mural et ponçage de murs pas droits dans mon appartement, et il me raccroche donc au nez avec toute la subtilité d’un essaim d’abeilles sans ruche : « Débrouille-toi ! Invente ! ». Cet appel à ma créativité me touche beaucoup.
Jusqu’à ce que je me retrouve 57 kilogrammes en moins et 10 minutes plus tard, la salopette bariolée et le visage rouge comme un cortège de fraises tagada. Carnaval de couleurs qui, au demeurant, me laisse perplexe, puisque la peinture du plafond est blanche. Je soupçonne une réaction chimique mal venue entre le moment où la peinture babille tranquillement dans le pot, et celui où elle atterrit sur moi, et, accessoirement, sur mon plafond.
Chez Leroy-Merlin, le type du rayon bricolage a du me prendre en pitié et m’a expliqué geste par geste comment procéder pour préparer mon plafond à la grande étape de la peinture. Il a juste oublié de me dire qu’il fallait aussi être champion du monde d’athlétisme et avoir hérité cinq bras de sa mère martienne, finalement.
Non parce que je suis désolée de me répéter, mais je ne sais pas si vous avez déjà repeint un plafond : c’est super physique. Limite anti-droits de l’homme, rapport aux efforts incommensurables auxquels il faut se livrer pour fignoler correctement le petit bout dans le coin, juste derrière le tuyau d’aération, là, à gauche. Et si en plus, comme moi, vous avez un plafond qui s’arrondit avec un sourire au lieu de se finir comme tout individu sensé par un angle droit, vous comprendrez aisément pourquoi j’estime m’être fait voler 3 ans de mon espérance de vie ce weekend. Ah ça ! Il s’est bien gardé de me prévenir que c’était une forme de suicide déguisé, repeindre son plafond, le paternel ! Dégoulinante de sueur et à demi-morte sur mon escabeau, j’entends ricaner dans ma tête trois générations de profs de sport.
Je fais une pause, le temps de recharger mon pacemaker, et je m’assieds en réfléchissant à la signification profonde de l’existence. C’est ainsi que j’acquiers une quasi-certitude historique : aux Jeux du Cirque romains, quand le gladiateur avait survécu au dévorage par les lions, il devait affronter l’épreuve de la peinture de plafond, on ne m'enlèvera pas ça de la tête. Ils sont fous, ces Romains.
Je me remets au boulot, en me faisant cette réflexion que, pour la première fois depuis mon passage chez le notaire, je suis ravie que mon appartement soit minuscule. Une pensée compatissante pour le gars chargé de repeindre les plafonds à Versailles, et je remonte sur mon escabeau. Comme j’ai ouvert la fenêtre parce que quitte à mourir de quelque chose, je préfère encore que ce soit d’un épuisement total de mes ressources plafono-picturales plutôt que par asphyxie au solvant chimique, j’aperçois le voisin d’en face qui écarquille les yeux en m’apercevant. L’espace d’une demi-seconde, je me vois à travers ses yeux et je comprends l’écarquillement sus-mentionné : je porte l’accoutrement spécial plafond. Cette panoplie tout à fait désopilante – faut-y avoir le sens de l’humour, quand même, quand on peint son plafond ! – se compose de grosses lunettes de soudeur, des habits les plus pourris de toute ma garde-robe, et d’une charlotte de bain sur la tête. Oui oui, le bonnet en plastique qu’on distribue dans les hôtels et qu’on croyait disparu avec l’extinction de la tante Roberte. Pas du tout. Il m’en reste un. Je n’ai à ce jour trouvé aucun autre moyen aussi efficace et plus glamour de ne pas finir blanche avant l’heure, capillairement parlant. J’arbore donc le look le moins sexy du monde, et je viens de rayer un de mes voisins de ma liste de futurs maris potentiels. Tant pis, on n’est pas dans un film américain, non plus.
Des tas de trucs me passent par la tête, pendant que je repeins mon plafond. Manquant me casser tragiquement la figure de mon escabeau, je repense, allez savoir pourquoi, à cette blague du fou qui repeint le plafond. Un autre fou arrive et lui dit : « Tiens-toi au pinceau, j’enlève l’échelle ! » Le pire, et ça restera entre ma salle de bain et moi (et éventuellement mon voisin d’en face) jusqu’à ma mort, c’est que je n’ai pas besoin qu’un autre fou intervienne pour me casser la margoulette, j’y arrive très bien toute seule.
Ils ont raison de faire la grève, les profs, en ce moment. Dans la vie, on ne nous prépare pas assez à la peinture de plafond, je trouve.
Photo (c) le grand retour de Bruno Issaly! - Tous Droits Réservés.