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La vie dans mon quartier de lune
4 janvier 2013

Céher et les réseaux sociaux professionnels

Linkedin Matthew Burpee

 

Comme je n’avais plus envie de travailler ce soir mais que ma mauvaise conscience se mettait à sonner dès que je m’éloignais de plus de 2 mètres de mon ordinateur, j’ai biaisé, j’ai fait un tour sur les réseaux sociaux professionnels. Je considère qu’il s’agit là d’une approche différente de mon travail mais qui rentre quand même dans le cadre de mon activité professionnelle. Et en plus j’aime bien regarder les photos des gens pour essayer  de deviner où ils ont passé leurs dernières vacances.

Je débarque tranquillement sur Linkedin, donc, le réseau socio-professionnel des riches et des branchés. Je suis également sur Viadeo mais j’ai vite compris qu’il s’agissait là du réseau social professionnel des pauvres et accessoirement des naufragés qui ont passé 5 ans en vacances chez Robinson Crusoë. Plus personne, de nos jours, n’est sur Viadeo, et si on l’est, c’est par pure politesse, « non non, je ne prends rien, merci, on ne va pas rester longtemps, parce qu’on a encore 2 bonnes heures de route ». Quoi qu’il en soit, il ne faut pas espérer décrocher un boulot grâce à Viadeo. Tout au plus peut-on aspirer à retrouver un vieux copain du service militaire qui n’aurait pas entendu parler de l’ouverture à l’international de ces dix dernières années lui non plus. Il m’a fallu trois mois d’abonnement promotionnels pour comprendre que Viadeo est une sorte de sous-Linkedin, comme Copains d’Avant est un sous-Facebook et comme la poupée Sindy (avec un S, qui sssssssouligne bien le sssssssous-produit) est une sous-Barbie. J’ai quand même conservé mon profil Viadeo, parce que je n’aime pas faire de la peine aux gens et leur dire que le réseau social professionnel qu’ils ont conçu pendant les longues soirées d’hiver de leur jeunesse est un échec total dynamité par un adolescent américain boutonneux.

Après la vérification d’usage pour m’assurer que mes cinq contacts Viadeo étaient toujours en vie, je suis passée sur Linkedin, donc. Là, fini de jouer, on entre clairement dans la cour des grands, et la transition après la promenade champêtre viadeolienne est violente. Je suis agressivement interpelée par des colonnes de pub sur la droite de mon écran, me proposant des tas de formations toutes plus requinisantes les unes que les autres dans de prestigieuses écoles américaines ou guatémaltèques ( ?!) aux ambitions nébuleuses. Le mot qui revient le plus souvent étant le mot business, je comprends qu’il s’agit d’histoires d’argent. J’ai déjà bien du mal à suivre le prélèvement de mes traites pour mon emprunt immobilier, et j’ai passé l’âge de jouer à Hélène et les Garçons à la fac depuis environ dix ans, alors je remballe mes crayons de couleur et je vais jouer ailleurs.

Je navigue donc parmi mes contacts et je barbote un moment, avant qu’un clic malheureux ne me ramène à la page d’accueil. Grossière erreur, sachez bonnes gens que la page d’accueil constitue en réalité une tribune pour diverses personnalités dont aucune ne m’est familière mais qui ont toutes, semble-t-il, réussi dans la vie – grâce, je vous le donne en mille, à Linkedin. Faut pas croire, les grands patrons des entreprises wallstreetées, ils n’ont jamais appliqué de grandes stratégies financières et boursières qui nous dépassent complètement nous autres communs des mortels pour en arriver là ; non non non, pensez-vous, ils ont simplement surfé tranquillement sur Linkedin un jour en mangeant leur tartine de Nutella et  le dieu du Business les a inondés de sa grâce. Depuis, ils se sentent obligés de nous donner des conseils. Quand je lis leurs recommandations dans mes actualités Linkedin, à ces types-là, j’ai toujours envie de leur donner un coup de balai en fonte sur la tête. Si on les écoutait, devenir millionnaire  ne tiendrait qu’à arriver sans cravate au travail le lundi matin dans un geste de rébellion suprême qui crierait clairement au boss : « je suis un jeune, j’ai du potentiel, et dans ma jolie sacoche en croûte de cuir Armani, j’ai l’idée du siècle, alors ne te fie pas aux apparences, patron ! ». Quand je m’attarde sur leur parcours de « gens comme vous et moi», je m’aperçois qu’ils sortent tous d’écoles prestigieuses plutôt plus américaines que guatémaltèques, et qu’ils ont été catapultés Asset Manager d’une grande boîte immédiatement après leur 5ème année de fac. J’ai beau être naïve, on ne me fera pas avaler qu’un parcours plus fulgurant que le rétro-laser du Capitaine Flam ne doit rien aux soutiens de papa-maman et au corporatisme des milieux auxquels ils appartiennent. Et je trouve le moment bien choisi pour déclarer qu’en dépit de mes cinq années passées en terre anglophone, je n’ai jamais bien compris ce que recouvrait le terme asset, et que je le soupçonne donc de ne rien recouvrer du tout, à l’instar des mots branding et segment strategy.

Bref, je sens bien que ces messieurs Linkedin et moi-même n’appartenons pas au même monde et ça m’agace un peu, cette occupation permanente par eux de mon espace virtuel professionnel. Ce soir, j’ai décidé d’ignorer superbement leurs costumes sobres et bien coupés sur ma page d’accueil Linkedin, et je suis allée faire un tour dans les personnes que je connais peut-être, entendez qu’un contact d’un contact d’un contact à moi a rencontré une fois lors d’un vague cocktail professionnel. Surprise, Linkedin m’annonce que je connais, entre autres, un PDG d’une grande entreprise qui sort d’une école américaine prestigieuse. Linkedin me susurre de lui envoyer un message, j’hésite puis je me ravise : je ne voudrais pas le déranger pendant qu’il mange sa tartine de Nutella.

 

Illustration (c) Matthew Burpee All Rights Reserved

 

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Commentaires
C
Pour faire le poids, il faudrait qu'on soit cinq. On serait leurs cinq assets.
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D
Ah les saligauds. Je me doutais qu'ils n'étaient sûrement pas tout seuls, pour rafler les bonnes places. Mais j'ignorais quand même qu'ils s'y mettaient asset.
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