Crème de jour
S’il y a bien un truc qui m’insupporte, ce sont les échantillons de crème anti-âge que me glisse la vendeuse dans mon sac Parashop avec son air commiséreux à la vue de ma crème hydratante spéciale peaux jeunes, l’air de dire « ma pauvre cocotte, vous vous faites du mal ! » Peut-être que je me suis plantée de rayon, mais moi au moins, je n’ai pas l’air d’être tombée dans un bidon de Ripolin. Je dis ça, c’est pour parler.
La condescendance de la vendeuse est à l’image des noms des produits qu’elle vend : pompeuse. Ma crème de jour ne s’appelle pas bêtement crème de jour. Non non. Elle s’appelle en toute simplicité « émulsion légère nirvanesque». Honnêtement, quand je m’en tartine la figure le soir avec des cernes de six pieds de long et une peau qui me poursuit en justice pour cause de violence domestique, j’échoue à voir le nirvanesque de la situation. Parfois, les noms sont tellement compliqués qu’au bout du compte et de trois kilomètres de dénomination essentiellement jalonnée de « prodigieux » et « nutri-expert », j’ai complètement perdu de vue la fonction première du tube que je tiens à la main.
« Demande à la vendeuse. » Ha. La phrase qui tue. Citez-moi une seule personne sur cette vieille planète capable de réclamer très calmement « bonjour madame, je voudrais un pot de fluide nutriperlé mirifiques aux fleurs de printemps, s’il vous plaît » sans avoir le sentiment d’être le dernier des crétins. Comme je n’ose pas demander pour les raisons susmentionnées, je finis en général par acheter la crème dans un but expérimental. A 25 euros l’expérience, je me dis qu’elle a intérêt d’être probante. Arrivée chez moi, je déballe en hâte la boîte en carton pour découvrir à l’intérieur un tube à peu près aussi gros qu’un taille-crayon. La réaction initiale consiste toujours en un ingénu « tiens Ripolin s’est trompée, elle m’a refilé un échantillon au lieu de mon truc ! » Apprenez, cher pigeon, que l’échantillon n’est autre que votre truc. Le fabricant a bien compris que tout pigeon que vous étiez, il aurait du mal à vous faire payer 25 euros un produit qui n’est utilisable qu’avec une loupe, et comme il n’était pas prêt à faire une croix sur les 5 millions de recette sur ses ventes qu’il comptait emmener prendre l’air en Suisse, il a noyé le poisson en glissant sa miniature dans une boîte de taille raisonnable. Une sorte de trompe-l’œil économique, ou stratégie marketing, vous expliquera-t-il. En d’autres termes, une arnaque.
Toujours est-il que vous voilà avec votre pot de crème sorti de sa boîte aussi maigre que les Goths d’Astérix une fois qu’ils ont enlevé leur manteau en peaux de bêtes. Il s’agit maintenant de ne pas gâcher les 2,5 mL de produit à 10 euros le millilitre, et de les utiliser à bon escient. A ce stade, toujours dans une visée très scientifique, j’approche ma loupe dégainée lors de l’étape précédente (cf : ci-dessus) et je l’approche du dos du tube, pour y lire les instructions d’usage. S’agirait pas de commettre un impair en me tartinant de crème de nuit le matin en me levant. Nadine de Rotschild ne s’en remettrait pas. Les ennuis commencent à peu près à ce moment-là : d’abord, parce que pour trouver le texte en français, il faut d’abord se taper la notice en allemand et en arachméen, et puis une fois le français localisé, se farcir 40 lignes d’ingrédients bourrées de X et de Y qui me feraient exploser tous les records au Scrabble et quatre mots à peine pour les instructions d’emploi : « pour un usage externe. » Des fois qu’on aurait l’intention de l’aspirer avec une paille par les oreilles et d’en faire des bulles…. Rien de plus, en revanche, en matière d’indications d’emploi. A ce jour, je possède une magnifique collection de bouteilles de « sérum miscellaire » dont je serais bien incapable de déterminer la cible d’application : pour ce que j’en sais, un sérum miscellaire se tartine sur les orteils. Pour utiliser une crème bio, idéalement, il faut avoir fait Polytechnique. Comme le temps de la bonne vieille boîte bleue Nivea me manque.
Photo (c) Linda Cronin