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La vie dans mon quartier de lune
14 mars 2012

Les boutiques

Comme je commence à fredonner le générique des Ptits Malins à tue-tête de manière aléatoire, ma sœur a décidé qu’il était temps de prendre les choses en main afin de m’éloigner du champ magnétique néfaste qui m’attache à mon ordinateur depuis plusieurs semaines. Même les relations les plus passionnelles ne supportent pas une fusion aussi extrême. Soeurette a dit d’un ton qui n’admettait pas de réplique « aujourd’hui on va faire les boutiques, tu vas claquer du fric,  et ne me refais surtout pas le coup de reposer un vêtement à cause de l’étiquette Made in China devant tout le monde, ou bien je raconte partout que tu as été adoptée en 1986 à Tchernobyl. » L’insulte m’est passée à plusieurs années-lumière au-dessus de la tête, la seule chose que j’aie retenue a été qu’avec cette date, ma sœur me rajeunissait de plusieurs années et j’ai été super flattée.


On aura beau dire ce qu’on voudra, assister à l’hémorragie de sa carte bleue de boutique en boutique a quelque chose d’indéniablement thérapeutique. En revanche, on ne dira jamais assez à quel point l’expérience du shopping peut être déstabilisante. Le drame commence dans les cabines d’essayage. Outre le fait que mes cheveux recommencent leur truc un peu éculé d’attraction de la Cité des Sciences à chaque fois que j’essaie un nouveau vêtement, avec une nette préférence pour les matières synthétiques pour un effet plus volumateur, je m’interroge, debout dans un habitacle de 50 cm² , sur la meilleure façon de procéder afin d’enfiler une robe sans donner de grands coups de coude dans la cabine d’à côté, au risque d’en faire sortir la géante russe qui vient de s’y engouffrer. Le scepticisme mathématique fait place à une grande curiosité lorsque je prends conscience que si mon mètre 63 est à l’étroit dans cette minuscule cabine, que dire des 4 mètres 50 de la Russe, et maintenant que l’image est plantée dans mon esprit, impossible de la dégager, il faut que je voie. Je pose ma robe sur le tabouret liliputien qui mange la moitié de la surface au sol de la cabine, je renfile mon pull (deuxième show capillaire de la journée) et je pousse mon rideau subrepticement afin de  jeter un coup d’œil à la cabine voisine. Elle est vide (Son occupante a du renoncer avant même d’essayer, il n’y a guère qu’en patinage que les Russes sont combatifs, finalement) en revanche, une voix sévère retentit derrière moi « Fais gaffe, tu es en train de te gagner un aller-simple pour l’Ukraine ! », rapport à mes pieds nus et à mon jean's débraillé. Je hausse les épaules, je retourne dans ma cage à lapin.


Là, rien à faire, je bute sur un détail. Il faudra qu’on m’explique comment les femmes dans les films parviennent à faire un striptease en toute glamouritude, à s’effeuiller langoureusement sans même filer leurs bas ou décoiffer un seul de leurs cheveux brushingués, parce que moi, perso, perdue dans la solitude de ma cabine, c’est le Big Bang quand j’essaie le moindre habit : je m’arrache une mèche de cheveux à chaque passage, j’oublie bien sûr d’enlever mes lunettes au préalable, du coup je m’écrabouille le nez en écrasant mes verres dessus, j’essaie maladroitement de les ôter avant le passage de l’encolure, moment le plus délicat, mais c’est encore pire, c’est une des branches que j’arrive finalement à m’enfoncer dans l’œil. Je marque une pause, et, coincée les bras en l’air dans le tissu et les lunettes de travers écrasées sur mon visage, je réfléchis au moyen de me tirer de cette situation de la façon la plus rapide et indolore possible. Bien sûr, c’est au moment de reprendre l’essayage que je m’aperçois que je suis coincée, que la robe ne fera pas un centimètre de plus, ni dans un sens ni dans l’autre, pour me permettre à la rigueur de recommencer à respirer. Je me rappelle soudain pourquoi je m’étais fait le serment de ne jamais faire les magasins toute seule : je reste systématiquement coincée dans les vêtements que j’essaie en boutique. Jamais les miens. Toujours une robe ou un pull que j’étais sur le point de reposer parce qu’en fait il ne me plaît pas tant que ça.   Ma dignité a mis son veto pendant plusieurs minutes à l’intervention armée des Alliés, puis a fini par obtempérer en comprenant que le look ver de terre ne m’allait pas si bien que ça. Je vous ferai grâce des sarcasmes fraternels que j’ai eu à subir pendant l’heure qui a suivi.


Je ne peux décemment pas évoquer cette journée de shopping sans mentionner au moins une fois le nom de Desigual. Après tout, je me gargarise d’être la dernière personne en France qui ne soit pas frappée par la folie Desigual. Comme j’étais ce jour-là avec ma grande sœur, quand elle veut quelque chose et que je veux le contraire, on fait naturellement ce qu’elle veut elle, une espèce de réflexe acquis depuis notre plus jeune âge. Nous sommes donc allées chez Desigual. Ce magasin mériterait une thèse en sociologie à lui tout seul. Ca châtoie de couleurs et de motifs bariolés, on sent bien qu’on est en territoire espagnol, rien à voir avec du mobilier suédois tout en dépouillement et en minimalisme.  A peine entrées dans la boutique, trois vendeurs avec un sourire jusqu’aux oreilles nous saluent bien bas et nous souhaitent la bienvenue comme si on se connaissait depuis 15 ans, c'est tout à fait charmant, j’étais limite déçue qu’ils ne m’offrent pas quelque chose à boire.  Je salue royalement de la main à plusieurs reprises jusqu’à ce que ma frangine me dise qu’il ne me manque plus que le chapeau pour ressembler à Elisabeth II dans son carrosse. Et puis elle s’enfonce dans l’obscurité. Notez ce détail capital : le concept Desigual, c’est un magasin plongé dans une pénombre crépusculaire, à se manger une étagère de vêtements à chaque pas. L’idée est originale, et presque vivable à condition de respecter quelques règles vitales : ne jamais perdre de vue la personne avec laquelle on est venue, sinon c’est foutu, on la revoit dans sa prochaine vie (personnellement je recommande la cordée comme les alpinistes) ; toujours tourner à droite jusqu’à ce qu’on ne puisse plus tourner et dans ce cas-là, faire demi-tour et toujours tourner à gauche jusqu’à la sortie ; le cas échéant, être paré à passer plusieurs jours d’affilée dans le magasin sans en sortir jusqu’à l’arrivée des secours ; vérifier systématiquement ses futurs achats près du point le plus lumineux de la boutique (en général les toilettes) avant de passer en caisse, histoire de ne pas investir guillerettement dans un pantalon violet à grosses fleurs rouges dessus sans avoir vu au moins une fois ce que le pantalon donnait dans un environnement relativement non privé de lumière. A ces quelques restrictions près, l’expérience peut être parfaitement ludique.
Il faut savoir également que Desigual et pot de Nutella, même combat : l’hyperconsommation de l’un n’a d’égale que la surexposition aux motifs et couleurs criardes de l’autre. En d’autres termes, tout séjour en boutique Desigual ne doit pas excéder 15 minutes sous peine d’une incompressible migraine dans l’heure qui suit. Au bout d’un quart d’heure dans ce magasin, ma balance oculaire sature et je cours retrouver le monde terne qui m’attend à l’extérieur avec un soulagement non feint.
Ceci étant, en toute franchise, je me suis laissée happer par la déferlante Desigual, et me suis retrouvée sur le trottoir avec deux sacs de la célèbre marque et une sœur au sourire épanoui. Je ne peux même pas mentir sur l’origine de mes achats devant mes copines, parce que la griffe Desigual n’est pas du genre passe-partout. Finalement, le seul endroit où je pourrais porter mes nouveaux vêtements incognito, c’est dans l’obscurité d’une boutique Desigual.

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