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La vie dans mon quartier de lune
3 janvier 2012

Dessin

Si  j’exhibe les dessins de Bruno sur ce blog avec autant de fierté, c’est parce que je n’ai pas de prédisposition pour l’art abstrait. Or, si j’avais décidé d’illustrer ce blog moi-même, il aurait vite rivalisé avec les portraits cubiques de Picasso. Sauf que dans mon cas, le cubisme aurait été involontaire, quand même.

Très tôt, déjà, les bonhommes informes que je dessinais en maternelle présentaient des signes d’atrophie musculaire inquiétants, même selon les critères de bonhommes informes habituellement dessinés par des enfants en bas-âge. Mes bonhommes moches étaient incontestablement plus moches que les bonhommes moches des autres enfants. Handicapée de la main droite mais pas de la perspicacité, j’ai vite perçu ma différence dans ce domaine. Puis vinrent les cours de dessin que l’on suit au collège. L’heure de dessin orpheline et solitaire que beaucoup d’adolescents confondent avec l’heure de foutoir intégral pendant laquelle le jeté de compas sur le camarade assis quatre pupitres plus loin n’est pas forcément suivi d’une retenue après la classe, celle-là même, oui. Alors que ma tendance instinctive au foutoir m’aurait plutôt portée dans ce sens,  j’ai entrepris de rectifier le tir de Dame Nature qui s’est fichu le compas susmentionné dans l’œil, et de m’appliquer à dessiner, des fois que je sois illuminée par la grâce et que le talent me tombe dessus sans crier gare.  Le talent, j’ai fait comme l’autre sur la colline : je l’ai attendu, attendu, il n’est jamais venu. J’aurais peut-être du siffler, mais une fille qui siffle, ça fait vulgaire, m’a toujours dit ma mère, et je ne voulais surtout pas avoir l’air vulgaire. Déjà que je suis nulle en dessin.  Ces quelques années d’efforts infructueux ont fait naître en moi une sorte de rancœur acide, parce que malgré mes bonnes notes dans les autres matières (pas en sport, quand même, faut pas non plus rêver), j’affichais toujours le déshonneur le plus total sur mon bulletin à cause de mes notes de dessin qui avoisinaient les températures hivernales en Sibérie : comme ces dernières, elles montaient rarement au-dessus de zéro. J’en ai conçu une grande frustration, de la même espèce que celle que l’on ressent au Trivial Pursuit quand on a tous les camemberts, sauf le orange, parce que le orange c’est la catégorie sport, et que qui se rappelle du nom du type qui a gagné le premier 300 mètres haie en 1932, franchement ?

Par la suite, la situation ne s’est guère améliorée. J’ai nourri un embryon d’espoir pendant un temps, en pensant que ce n’était pas que je ne savais pas dessiner, c’était que j’avais un trait de crayon particulier et qu’il suffisait que je le trouve. Je l’ai trouvé. Mon trait, c’est l’encre invisible. Tant que ça ne se voit pas, je peux dessiner tout ce que je veux sans provoquer de crise de terreur chez les enfants de moins de 25 ans. Au-delà de cette condition, je me couvre de honte et je remballe mes feutres la tête basse. Imaginez l’anxiété qui me ronge quand, en réunion professionnelle, les participants débattent de projets tous plus fascinants les uns que les autres pendant que je fais mentalement ma liste de Noël pour l’an prochain et que soudain, il vient à l’idée d’un sadique qui s’ignore de « faire un dessin, ça sera plus parlant ». Dans ce cas, je préfère annoncer de but en blanc avec une tête de Morticia Addams que je n’ai pas de projet à dessiner, je n’aurai jamais de projet, ma vie est un désert aride en matière de projet et s’il vous plaît c’est un sujet douloureux le manque de projet dans mon existence donc n’insistez pas. Tout sauf reconnaître publiquement ma déficience dessinatoire.

Et puis donc, ce blog a fait son apparition. La partie mots, je sais faire, à peu près. Mais je sens bien qu’un blog sans dessins, c’est comme les livres sans images : ça fait sérieux, mais dès que les autres ont le dos tourné, on remise Guerre et Paix par-devers soi et on attrape Voici avec toutes ces images et ces photos de stars qui luisent de mille couleurs. J’ai vaguement tenté de griffonner un truc pour mon blog, sans décider au préalable de ce que j’allais dessiner : j’ai déjà bien du mal à tenir un crayon pour lui donner une direction, alors si en plus il faut que le résultat ressemble à quelque chose, je ne suis pas sortie de l’auberge. Echec cuisant, bien entendu, mon œuvre relevait du croisement entre Nosferatu et les frères Bogdanoff.  J’ai vite abandonné et brûlé mes crayons.

Maintenant que vous connaissez le contexte dans lequel s’inscrivent les illustrations de ce blog, vous comprendrez mieux pourquoi j’envisage d’élever une statue en hommage à Bruno l’illustrateur qui me dessine gentiment des trucs RECONNAISSABLES et RIGOLOS sans me demander de rançon. Ma seule hésitation, c’est que pour élever une statue, il faut d’abord en faire un croquis, et si c’est moi qui m’en charge, j’ai peur que la fierté de l’intéressé ne soit mortellement blessée.

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P
Eh! Oh! Faudrait voir à ne pas exagérer non plus : on ne peut quand même pas avoir TOUS les talents! Faut en laisser aux autres!
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