Chat
Mon chat est allergique à la grasse matinée. A la mienne, veux-je dire. Depuis qu’il a identifié le weekend comme point d’orgue du repas en retard, mes nuits sont moins belles que vos jours et sont surtout très courtes. (Et je ne vous parle même pas du weekend du changement d’heure)
Passé 8h du matin, Chat ne supporte pas que je reste au lit, alors que lui est éveillé, le ventre vide. Il tente alors de m’exposer toute la souffrance morale à laquelle je le contrains en poussant des cris qui vous déchirent le cœur (et les tympans). Je m’attends à voir débarquer les flics chaque dimanche matin, un mandat de perquisition à la main, pour récupérer le cadavre de l’enfant handicapé que j’ai torturé pendant plusieurs heures avant de l’achever sur les coups de neuf heures. (ce qui correspond à peu près à l’heure à laquelle mon chat a gagné la partie, et m’escorte manu militari jusqu’à la cuisine alors que je maugréé des insultes félines à moitié endormie).
Le Chat a développé une stratégie en plusieurs points au fil des années (je suppose qu’on peut y voir une forme d’évolution. Le chat devait être à Darwin ce que la baignoire était à Archimède).
Etape 1 : 8h01, j’ai le malheur de me retourner dans mon lit. Chat est sur le qui-vive, il se lève, fait le tour de la chambre, un tour de piste avant le grand show, puis part vaquer à ses tâches habituelles, en me concédant généreusement 10 minutes de plus pendant qu’il finit de se préparer. Mais à 8h10, c’est fini, il est prêt, à l’attaque.
Etape 2 : Chat saute sur le lit, et s’avance précautionneusement jusqu’à ma tête, seul morceau de moi que je n’ai pas réussi à enfouir sous les couvertures. Ma tête est mon tendon d’Achille. Il me renifle le visage, ses moustaches me chatouillent, surtout ne pas bouger, je fais semblant de dormir. Je n’ose même plus avaler ma salive, ce serait une erreur fatale, il ne me lâcherait plus. La bête hume l’air, à l’affût du moindre mouvement, je fais la morte, il repart, j’attends de l’entendre entrouvrir la porte de cuisine pour pousser un soupir de soulagement. Je commets alors ma première erreur : je me rendors.
Etape 3 : Chat, qui n’attendait que ça, débarque à pas de velours dans la chambre, monte sur le lit avec l’agilité des grands fauves, remonte le lit en lévitant pour ne pas me réveiller, s’installe près de mon oreille, inspire un grand coup, puis pousse un miaulement que nous appellerons le miaulement à 136 décibels. Parler de l’effet de surprise me paraît ici un peu faible pour décrire le triple alto que j’effectue avant de m’enfoncer dans le plafond. Je retombe, encore sonnée, quand surgit la deuxième vague : le jumeau du miaulement à 136 décibels. L’effet de surprise n’y est plus, mais mon pacemaker déjà affaibli par la première attaque me susurre qu’il se fait la malle à Miami et que je vais devoir me débrouiller toute seule. Cette fois, c’est ma fierté qui est en jeu, et dans un sursaut de dignité, je décide que je ne cèderai pas à ce chantage. La garde meurt, mais ne se rend pas. Deuxième erreur. Je me recouche et tente de me rendormir.
Etape 4 : Chat, inspiré par mon saut prodigieux avec grand final dans le plafond, passe alors à la stratégie dite « du trempoline » : il saute sur le lit pour atterrir sur des parties diverses et variées de mon corps, puis re-descend, puis re-saute sur une nouvelle partie diverse et variée de mon corps, puis redescend, j’ai l’impression d’être Docteur Maboul, et de sonner de partout. J’identifie très vite la guerre des nerfs, mais tel le gouvernement grec avec ses mesures d’austérité, je décide de tenir tête au mécontentement du peuple. Je me rabats sur la stratégie de la morte, en espérant décourager les troupes. Que nenni.
Etape 5 : la politique de la terre brûlée ne prend pas, Chat me veut vivante, en tout cas suffisamment pour lui ouvrir une boîte de pâté. Il abat alors son ultime carte, l’arme de destruction massive. Re-sautant nonchalamment sur le lit, il s’avance d’un air désinvolte, je sens l’édredon plisser sous ses pattes et je suis son parcours sans broncher. Je m’attends à ce qu’il remonte jusqu’à ma tête pour me hurler ses protestations dans les oreilles, mais, en Hannibal majestueux qui traverse les Alpes sur son éléphant, il dévie, me grimpe dessus, et s’assied tranquillement sur ma vessie. Il attend. Le coup de grâce. Il a trouvé le point faible, sait, pour en avoir fait l’expérience la semaine d’avant, que le siège ne sera pas long, et il se montre tout à coup d’une patience infinie qui contraste avec l’urgence de sa faim. Je tiens bon. Je tiens. Autant que je peux. J’essaie de me rendormir. J’essaie de ne pas penser au petit torrent dans lequel je patouillais lorsque j’étais gamine. Ni à la rivière qui bordait le jardin de mes grands-parents. Ni à la Seine près de laquelle il fait toujours un peu plus froid. Ni aux Chutes du Niagara que...Trop tard. Chat a gagné la guerre. Je me lève.